Deux suicides en moins de quatre mois: celui du soldat Cailleau,le 16 juillet 1972;celui du soldat Martin,le 5 novembre.Décidément,le 129° RIM stationné outre Rhin à Constance,est devenu le régiment le plus notoire de France.Les lecteurs du nouvel Observateur le savent puisque nous avons déja publié dans le courrier des lecteurs deux lettres à propos de ce régiment.
L'Armée,bien évidemment,garde sur ces affaires le secret qui caractérise"la grande muette".Les camarades de Martin sont encore soldats.Ils ne peuvent rien dire.Les camarades de Cailleau,eux,sont redevenus civils.Certains d'entre eux ont parlé.Ils ont raconté l'atmosphère du 129° RIM, à mi- chemin de Courteline et de Kafka.C'est un régiment ou l'on croit aux vertus militaires ancestrales et ou,comme s'en plaignait déja ,Clémenceau,"La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique".
Cent quarante appelés du contingent 71/08 se retrouvent à constance,caserne Maujean,au mois d'aout 1971.Quarante d'entre eux ,qui ont un niveau d'instruction supérieur à la moyenne,sont sélectionnés pour devenir de futurs gradés (caporaux,ou caporaux-chefs ).Ils feront l'instruction de base pendant un mois,puis iront au "peloton".Parmi ces quarante,André Cailleau ,André Le Meur,et Jacques Barré.
" Pendant ce premier mois d'instruction,commente Jacques Barré,les petits chefs tentent d'affoler les gars.Ils y arrivent.Mais les résultats ne sont pas ce qu'ils escomptent.Réveil:5h30.Puis marches,courses de fond,manoeuvres,leçons théoriques,nettoyages d'armes pendant les pauses,et marches à nouveau...jusqu'à 17h30.21 heures,appel et punitions à la tête du client.Certaines corvées d'astiquage durent jusqu'à minuit.Et de nouveau réveil.....
Ceux qui ont fait Verdun ou Bir-Hakeim vous diront que l'instruction de base a toujours été menée avec la même rigueur et suivant les mêmes critères d'abrutissement.Mais ,précisément les appelés des années 1970 ne tolèrent plus les brimades inutiles.aujourd'hui, ils ne veulent surtout pas savoir "de quoi les pieds,du soldat ? " Car enfin,soyons sérieux,nous dira l'un d'eux.Il n'y a guère que deux types de guerre envisageables/guerre coloniale,et alors le contingent refuse de marcher.Ou guerre atomique planétaire....auquel cas on pourra peut-être se féliciter qu'ils nous aient appris à courir très vite et très loin " .
Devant 'ineptie de l'instruction,les quarante bidasses destinés au peloton commencent à se poser des questions:doivent ils accepter de devenir gradés et finir par acquerir la mentalité de petit chef pour,à leur tour ,distiller cette instruction imbécile?Plus de la moitié répondent "NON" Cailleau est de ceux-là.Malheureusement pour lui ,c'est un paysan militant.Il voulait relancer le club agricole qui regroupe les militaires intéressés par l'agriculture et qui ,comme tous les clubs de l'armée,a une activité voisine de zéro.Ses supérieurs lui font entendre que seul un gradé peut avoir la responsabilité de ce club.Il doit donc faire le peloton.Il le fera.
Ses camarades qui y ont échappé retrouvent un avant gout de liberté.Désormais,ils peuvent sortir en ville le soir.Ils découvrent les Allemands.Et déclarent aujourd'hui : "Dans un endroit ou l'on s'ennuie à mort,quand la vie commence à prendre,c'est comme une mayonnaise;ça monte ".
Les crêpes et le joint
De fait,très vite,Français et Allemands,qui n'avaient de contacts qu'a travers les manifestations officielles,qualifiées de soporifiques,accrochent sur les problèmes de leur époque:"Cette période de classes sur fond d'obscurantisme et de brimades semblait faire pour empêcher le contact et la fraternité,constate André LE Meur.voici que tout d'un coup on découvre une fraternité qui débouche sur le désir de mieux se connaitre et le refus de tolérer un système abrutissant."
Des tracts sur ces deux thèmes,sont imprimés par les étudiants Allemands et distribués aux bidasses.A la fin du mois de juin 1972 ,le 129°RI organise le cérémonie traditionnelle des "portes ouvertes" au cours de laquelle la population est appelée à venir dans la caserne découvrir la France.La municipalité de Constance peut aussi déguster des crèpes au sarrasin au stand de la bretagne.Et lire un tract distibué en sous main:"La bretagne ce n'est pas seulement les crèpes,c'est aussi le joint Français"
Décidément, c'est trop. L'armé va devoir sévir.Pour l'exemple.La répression s'abat très vite sur les " fortes têtes " du 129° .Du 7 au 10 juillet 5 soldats(Le Meur,Barré, Le Lan,Feidel,et Mézier ) sont arrêtés.Le 13 juillet,ils sont confondus avec Cailleau,devenu caporal-chef.Celui-ci,au dire de ses camarades semble dans un état proche de l'hébétude.Un gendarme pose des questions auxquelles Cailleau répond uniquement par oui et par non.Tout ceux qui l'ont vu à cette époque affirment qu'ils subissait des intérrogatoires continus.Selon ses camarades,"il ne mangeait pas,il ne parlait pas.Il se contentait de dire " j'ai des ennuis "je vous raconterai quand je serai libéré."
Trois jours après la confrontation,on retrouvera Cailleau pendu dans une salle de repos du cantonnement.
LE COLONEL CONFESSEUR
Cinq de ses camarades sont alors en prison,au secret,sans motif d'inculpation.Le ministère de la Défense nationale affirme dans un communiqué tardif que Cailleau a participé à des réunions antimilitaristes,qu'il en a éprouvé des remords,qu'il s'en est conféssé à son colonel.Les cinq contestent absolument cette version."Cailleau était un vrai copain ,déclare Jacques Barré.Il a toujours été d'accord avec nous .Quand nous avons été mis au trou,dans les conditions de détention physique absolument effroyables,c'est lui qui est venu prendre des photos de nos cellules pour les communiquer à la presse.On n'a jamais retrouvé ces photos."
Après quinze jours de cellule,les cinq détenus connaitrons le motif de leur inculpation.Ils sont coupables,en vertu de l'article 213 du code des armées,d'avoir "organisé ou provoqué une manifestation contraire à la discipline ou au devoir militaire"Ils sont tous condamnés à soixante jours de prison.
Du coté Allemand,on s'étonne d'une telle sévérité.Non seulement les étudiants distribuent des tracts,organisent des sit-in autour de la caserne française et lancent une pétition qui recueillera 1500 signatures,mais les notables de Constance,évêque et maire en tête,demandent des explications.Quand le commandant de la place le général Roudier,organise une prise d'armes à l'occasion de son départ,une partie du conseil municipal décline l'invitation à la cérémonie.En France certaines personnalités commencent à s'intéresser à cette affaire.Michel Roccard dépose une question écrite au parlement .Et la presse reprend la déclaration de Mme Cailleau,la mère d'André. " moralement ils ont tué mon fils "
Décidément,l'affaire tourne mal.Gênée l'armée libère par anticipation les cinq détenus qui sont reconduits à la frontière Française le 1° septembre.
Pourtant au niveau des petits chefs du 129° RIM ,rien,semble-t'il,n'a changé.Ils distillent la même instruction aux nouveaux appelés du contingent.Le soldat Cailleau s'est suicidé après dix mois de service.Le soldat Martin de la 4° compagnie du 129°RIM,n'aura pas attendu aussi longtemps.Il s'est jeté sous un train le 5 novembre dernier.Trois mois après son incorporation.
François DUPUIS du nouvel Obs.
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Après la lecture de cet article,vous comprendrez mieux ma tenue,en effet j'ai passé plusieurs mois par petites périodes en "taule" dans cette caserne,faisant partie des "fortes têtes" je n'avais ni ceinture,ni lacets la plupart du temps,et ce n'est pas les 90 jours de " RAB " qui m'ont brisé.
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